Quelle est la situation du baleineau isolé en Martinique ?
Depuis le dimanche 9 avril 2023, tous les acteurs de la protection et spécialistes des cétacés sont mobilisés pour venir en aide à un jeune baleineau isolé en potentielle difficulté. Retour sur le déroulé des faits et point de situation avec le Parc naturel marin de Martinique et le ROCEM[1].
9 avril 2023 : signalement d’un jeune baleineau isolé
Dimanche 9 avril en fin de journée, le Réseau d’observation des cétacés échoués en Martinique (ROCEM) est informé de la présence d’une baleine à bosse de petite taille au large des côtes Nord Caraïbe. L’animal ne semble pas accompagné d’un adulte et entre en interaction avec des navires de plaisance. Le coordinateur ROCEM demande aux membres du réseau de rester vigilants et de se tenir prêts à intervenir.
10 avril : le réseau de protection des mammifères marins des Antilles françaises se mobilise
Dès le lundi 10 avril, les acteurs concernés sont intégrés aux échanges sur la gestion de l’événement sous la coordination du ROCEM : les services de l’Etat compétents (action de l’Etat en Mer, direction de la Mer), des opérateurs de whale watching, l’association Caribbean Cetacean Society (CCS), le bureau d’études Aquasearch, les gestionnaires du Sanctuaire Agoa et du Parc naturel marin de Martinique.
Plusieurs propositions sont débattues :
- Suivre l’avis du Dr Diana REISS (professeur de psychologie cognitive à l’université de New-York) qui consiste à essayer de nourrir le baleineau ou à défaut l’hydrater. Le protocole ainsi proposé a été utilisé sur un baleineau secouru par un centre de soin (Sea World) et nourri pendant 13 mois en bassin avant d’être relâché.
- S’inspirer de l’expérience de nourrissage d’un baleineau en Polynésie en 2012, décédé 5 jours plus tard. La personne qui avait été en charge de cette opération conseille cependant vivement le mercredi 12 de ne pas renouveler l’expérience.
- Tenter d’attirer le baleineau vers le large pour qu’il se rapproche de congénères.
Les experts du RNE recommandent quant à eux d’éviter les interventions trop intrusives, tant que l’animal est en mer afin de ne pas risquer d’aggraver la situation.
Du 11 au 13 avril : trois jours d’intervention active
Au vu du caractère exceptionnel de la situation, les actions suivantes sont réalisées avec l’accord du RNE.
Le mardi 11, les moyens nautiques du Parc naturel marin et du bureau d’études Aquasearch tentent d’inciter le baleineau à regagner le large.
Le mercredi 12, le moyen nautique du Parc naturel marin réalise une tentative d’hydratation du baleineau. Il n’y a pas de certitude que l’eau ait été ingérée et l’animal ne suit le bateau que sur 500 mètres puis l’abandonne.
Une nouvelle tentative d’amener le baleineau vers le large est également effectuée avec du lait classique, avec l’accord du RNE. Après une dizaine de tentatives, le lait est versé dans sa gueule mais l’animal s’éloigne ensuite et refuse d’être approché de nouveau.
Le jeudi 13, un nouveau test avec un autre élément attractif (notamment composé de foie de morue) est envisagé. En raison du signalement dans le secteur Nord Caraïbes de prédateurs, des orques épaulards, ce test, qui a toujours pour but d’amener le baleineau vers le large, n’est finalement pas mis en œuvre. L’élément attractif est tout de même testé en fin de journée mais ne suscite pas de réaction du baleineau. Celui-ci demeure au fond de la baie et il convient désormais de le laisser tranquille.
Mardi 18 avril, que devient le baleineau ?
Du vendredi 14 au dimanche 16 avril, l’animal est signalé à plusieurs reprises dans la baie de Fort-de-France. Aucune intervention n’est entreprise conformément aux recommandations des experts du RNE.
Lundi 17 avril, le RNE transmet au ROCEM la déclaration d’un comité international exceptionnel[2], réuni à l’occasion de la 34ème conférence de la European Cetacean Society, en Espagne :
« L’opinion unanime est qu’un animal de cette taille dans un état avancé de maigreur ne pourra survivre et que l’apport d’alimentation ne fera que prolonger son agonie. L’apport d’alimentation ne fera qu’augmenter le stress de l’animal. L’animal peut disparaitre ou venir s’échouer mort ou vivant. En cas d’échouage de vivant, le consensus est de laisser l’animal mourir naturellement, étant donné qu’une euthanasie pour un animal de cette taille ne pourrait être éventuellement envisagée que si les conditions étaient réunies (matériel adapté, personnel spécialisé), ce qui n’est pas le cas en Martinique ».
Ils soutiennent que les actions menées en Martinique se sont faites de manière adaptée au cas : l’attractivité vers le large était la seule option, si les stimulus ne fonctionnent pas il vaut mieux laisser l’animal faire.
Après trois jours sans intervention, le baleineau quitte la baie de Fort-de-France et fait route vers le Sud. La vedette de la SNSM de Fort-de-France se rend sur zone avec à son bord des représentants de la direction de la Mer, du ROCEM, du Parc naturel marin de Martinique et de la CCS pour sécuriser le déplacement de l’animal. En fin de journée, celui-ci a disparu et semble être reparti vers le large.
Mardi 18 matin, le baleineau est signalé dans la baie du Marin. La brigade nautique de la Gendarmerie du Marin et le navire de la direction de la Mer avec à son bord un représentant du ROCEM se rendent sur zone pour mettre en place un périmètre de sécurité et de quiétude pour l’animal.
Le RNE confirme de nouveau qu’aucun protocole d’intervention ne doit être mis en place. Le baleineau semble mieux se déplacer sans intervention active.
[1] Le ROCEM (Réseau d’Observation des Cétacés Echoués de la Martinique) est le représentant local du Réseau National d’Echouage (RNE), piloté à l’échelle nationale par l’Observatoire Pelagis/La Rochelle Université sous tutelle du ministère en charge de l’environnement. Le ROCEM est composé d’experts formés et agréés pour l’intervention lors des événements d’échouages de cétacés (baleines, dauphins, orques, etc.) et pinnipèdes (phoques, otaries, morses, etc.). Le RNE peut également fournir des recommandations dans des cas plus spécifiques de cétacés en potentielle difficulté.
[2] Ces experts qui soutiennent la position du RNE sont James Barnett et Nathalie Arrow (British diver marine life rescue, Royaume-Uni), Misty Niemeyer (International Fund for Animal Welfare), Andrew Brownlow (Scottish Marine Animals stranding scheme, University of Glasgow), Missy Niemeyer (Coordinateur Echouage aux USA) et Rebecca Boys (Cetacean Ecology Research Group en Australie et Nouvelle-Zélande).